https://magazine.com.lb/2017/01/04/la-liberte-dexpression-encore-et-encore
Le 12 mai 2000, j’ai écrit, dans les colonnes d’un quotidien libanais, un article intitulé Ne touchez pas à la liberté d’expression. Il s’agissait de défendre le droit de l’avocat et activiste Me Mohammad Moghrabi à la libre expression, dans un contexte de chasse aux sorcières, menée par une justice et un appareil sécuritaire entièrement assujettis au tuteur syrien. Plus de seize ans après, le débat sur les limites de la liberté d’expression reste hautement polémique.
Il y a quelques semaines, il a suffi qu’un étudiant, Bassel el-Amine, affiche sur Facebook un commentaire insul-tant à l’égard des Libanais pour que se déchaînent les passions… contre ou pour la liberté d’expression. Comme dans la plupart des cas, la majorité des internautes n’ont vu que noir ou blanc, traitant Bassel soit de démon soit de héros.
La liberté d’expression, de par sa nature inhérente à la «Personne Humaine», mérite quand même une réflexion qui transcende un contexte particulier. Que Bassel ait insulté une grande partie des Libanais doit être reconnu sans l’ombre d’un doute. Dans tout autre pays, même ceux se prévalant d’un respect poussé des droits et libertés, ce genre d’insultes aurait engendré une procédure. La dignité de la collectivité n’est pas inférieure à celle de l’individu. La question qui se pose, c’est: «quelle autorité doit prendre en charge un cas pareil?».
Un despote clérical
Le Bureau pour la lutte contre les cyber-crimes, créé il y a quelques années au sein des Forces de sécurité intérieure (FSI), joue un rôle important dans un monde de plus en plus informatisé, où l’espace criminel croît autant que de nouvelles innovations technologiques sont introduites presque tous les jours. Mais est-ce qu’une équipe d’officiers et de policiers (de ce bureau ou de toute autre agence de sécurité) ou bien d’un despote clérical comme le RP (Abdo) Abou Kasm peuvent-ils se prévaloir d’un rôle aussi sensible que de déterminer si une insulte publique mérite d’être criminalisée et faire l’objet d’une arrestation? N’est-ce pas le rôle de l’autorité judiciaire de la faire?
Le cœur du débat n’est pas si Bassel a le droit de s’exprimer ou pas. Toute personne doit pouvoir s’exprimer librement, tout en sachant que l’exercice de la liberté exige aussi de rendre compte en cas d’infraction. A cette fin, il faut que le pouvoir législatif bouge, enfin, pour que la Loi définisse plus clairement les atteintes à la liberté d’expression passibles de poursuite. Le rôle de l’appareil judiciaire, et non pas des agences de sécurité, est de s’assurer que ce que tous les «Bassel» du monde disent ne porte pas atteinte à la dignité des autres, individus ou collectivités, présidents, ministres ou citoyens ordinaires. Simultanément, le rôle de la Justice est de s’assurer que les personnes qui, à travers l’expression de leur point de vue, transgressent la dignité des autres, ne sont pas soumises à des poursuites excessives, des arrestations arbitraires ou autres formes de mesures répressives, dont la seule conséquence est de restreindre encore plus l’espace de la libre expression dans un pays dont la seule planche de salut reste son respect (relatif) des libertés, en comparaison avec son entourage bouillonnant et autocrate.
Elie Abouaoun
Secrétaire général d’ALEF-act for Human Rights
Enseignant universitaire