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Defis de la Societe Civile dans la Region Arabe

Des années durant, les régimes autocratiques arabes ont laissé des cicatrices indélébiles à tous les niveaux (politique, économique, social, culturel, écologique…). Il n’est pas exagéré même d’affirmer qu’ils ont détruit des « Nations » dont les citoyens ne se sentent plus en sécurité, ont peur de tout et ne possèdent ni la capacité ni le vouloir de participer à leur vie communautaire. L’histoire montre que les dictateurs viennent et disparaissent mais leurs cicatrices prennent du temps pour guérir, un processus non seulement long mais douloureux surtout. Toujours est-il que la question qui se pose est de savoir si la société civile est en position de se lancer dans l’aventure de la transition politique.

Même s’il est difficile de généraliser, le paysage typique de la région arabe avant 2011 consistait surtout en des régimes autocratiques juxtaposant un ensemble d’acteurs civils comme les opposants politiques, les intellectuels, les activistes et associations de droits de l’Homme, les syndicats, les femmes, les étudiants, et les membres dissidents des régimes ; tous contre les régimes d’une façon ou d’une autre. A cote, il y a des mouvements islamistes bien organisés s’inspirant des préceptes de l’Islam politique mais exclus par des pratiques répressives brutales. Ces acteurs n’ont pas évolué suffisamment pour devenir une société civile hétérogène main harmonieuse. La société civile peut être définie comme des entités non gouvernementales à but non lucratif agissant pour l’intérêt public et reflétant les intérêts et les valeurs des membres qu’ils représentent.

Dans le contexte arabe, la société civile doit jouer le rôle très pertinent de tenir les gouvernements responsables pour leurs actions, influer les politiques publiques, et de renforcer le potentiel de leurs communautés. Une multitude de facteurs contextuels ont empêché la société civile de pleinement jouer son rôle. Mais il faut aussi avouer que les exigences intrinsèques pour jouer ce rôle ne sont pas remplies ; comme par exemple l’acceptabilité par les couches populaires, l’échelle de valeurs populaires (en porte à faux des principes de transparence), les interventions ciblées, l’absence de la volonté publique de réforme.

La participation de la société civile est cruciale pour le succès du processus de transition. En effet, les expériences passées montrent que les efforts fournis par les gouvernements et la communauté internationale ne suffisent pas pour réussir ce genre de processus sans un rôle actif des acteurs civiques et sans une conviction sociétale que ce processus est dans l’intérêt des citoyens. Ces éléments sont d’autant plus importants dans le contexte arabe présent puisque les gouvernements et la communauté internationale ne sont pas perçus comme des acteurs crédibles ; et c’est là que la société civile peut agir en intermédiaire légitime.

Les temps de transition sont caractérisés en général par une prolifération chaotique des associations contribuant à une image d’une société civile mue par l’argent avec les conséquences désastreuses que l’on connait, surtout sur leur acceptabilité.

Bien que les acteurs locaux soient plus près de la légitimité comparés aux acteurs externes, la légitimité de la société civile dépend de la perception locale de leurs motivations et intérêts. Dans la majorité des cas, les acteurs de la société civile ont un long chemin encore avant de se prémunir de cette légitimité qui ne peut venir que d’une proximité soutenue avec leurs communautés. Les défis les plus importants qui se présentent dans ce contexte sont :

1- L’équilibre entre la capacité et l’accès aux ressources

Dans la plupart des pays en période de transition actuellement, un drainage de cerveaux a été observé quand la plupart des individus qualifiés ont été appelés à rejoindre les nouvelles structures de l’Etat ou leurs subsidiaires. En général, la capacité technique des ONG est mesurée par rapport à la capacité d’exécuter les projets dans les temps prévus selon la proposition de projet. Les ONG financés souvent sont celles qui peuvent remplir les formats compliqués des bailleurs ou qui ont des systèmes comptables avancés. Malheureusement, ce ne sont que les méga-organisations basées dans les villes qui remplissent ces conditions. Ces acteurs n’ont pas nécessairement la connaissance de ce qu’il faut faire, où et comment. D’autre part, inonder un pays par un financement sous le label de «l’urgence politique» submerge les acteurs « financièrement » au-delà de leurs capacités réelles ; ce qui contribue à la création d’un environnement propice à la corruption. Exiger des ONG des résultats rapides les pousse à adopter des délais irréalistes pour leurs projets conduisant à un échec cuisant.

2- Le devoir de rendre des comptes

Rendre des comptes aux bailleurs est essentiel certes mais le plus important pour les acteurs de la société civile est le devoir de rendre des comptes à leurs corps constituants ; un devoir très rarement accompli conduisant à l’élargissement du fossé avec la communauté et affecte négativement leur légitimité auprès de ces corps constituants.

3- L’environnement légal inapproprié

Les procédures légales et complexes sont un des obstacles majeurs empêchant le travail régulier des acteurs de la société civile durant et après la transition. En regardant les pays arabes en transition actuellement, l’on peut observer que les lois concernant la société civile sont soit répressives, soit bureaucratiques soit les deux à la fois.

4- La programmation pertinente

L’élément inconnu à ce stade est de savoir si l’échelle de valeurs populaire est propice à l’émergence de régimes démocratiques. S’il est vrai que les transitions sont longues et douloureuses en général, il est également vrai que le succès de ces transitions est tributaire d’une acceptation sans équivoque des valeurs démocratiques. C’est là que la société civile joue un rôle important. Il ne suffit pas d’exécuter des projets à tort et à travers mais plutôt de s’engager à travers des initiatives capables de vulgariser les valeurs universelles des droits de l’Homme qui doivent devenir les fondements du nouvel ordre politique arabe. Si les acteurs échouent dans la conception de projets pertinents, les résultats du « printemps arabe » s’esquiveront pour laisser la place à des nouvelles autocraties ou des théocraties.

5- La relation avec le gouvernement

Depuis des décennies, la relation entre la société civile dans la région arabe et la plupart des gouvernements fut caractérisée par l’hostilité et un manque aigu de confiance. Maintenir ce genre de relations avec les gouvernements dans l’avenir est contre-productif. Positionner toujours la société civile en porte à faux avec l’Etat contribue sans doute à la dé-légitimation de la société civile (surtout dans les pays où il y a une division politique aigue) comme ça peut encourager la radicalisation des citoyens contre l’’Etat. Or pour prétendre induire in changement social, il ne suffit pour la société civile de contre balancer l’Etat. Il faut plutôt considérer l’Etat comme un partenaire difficile mais indispensable et agir en conséquence ; comme par exemple la promotion du principe de coopération quand c’est possible à travers une « stratégie de chevauchement » qui consiste à alterner entre deux approches (coopération ou pression) tout en prenant avantage des contradictions qui puissent exister entre les composantes de l’Etat (gouvernement, parlement, corps judiciaire…). Si c’est facile de le dire, la mise en œuvre de telles stratégies tout en maintenant une distance raisonnable avec l’Etat reste un défi souvent difficile à surmonter.

6- Religion et politique

Près de deux tiers de la population mondiale s’identifie à une religion donnée. Ceci prend une plus proportion plus importante dans une région ou la religion est la composante primaire de l’identité. Le paysage politique présent et futur reposera essentiellement sur l’identité religieuse qui comme l’identité ethnique en appelle à l’émotionnel. Alors que les autorités religieuses utilisent un langage religieux pour mobiliser leur base, les leaders politiques l’utilisent pour manipuler leur électorat et les convaincre de soutenir leurs choix politiques et exacerber les sentiments de peur et d’exclusion. Comme les préceptes religieux peuvent justifier des actions extrêmes, elles peuvent également promouvoir la paix et la convivialité. Les figures et institutions ecclésiastiques sont souvent des faiseurs d’opinions et sont respectées par la plupart des parties d’un conflit.

Les valeurs de pardon et de tolérance dans les textes religieux pourraient bien inspirer un changement d’attitude. Les figures religieuses ont accès aux haute sphères du pouvoir et jouissent d’un effet de levier qui leur permet d’influer les évènements dans des contextes ou les acteurs non-religieux ne le peuvent pas. En même temps, l’utilisation de la religion peut aiguiser les conflits politiques et sociaux, D’où la nécessité d’être prudent afin de ne pas permettre aux figures religieuses, parfois complètement soumises au régime, de manipuler les acteurs de la société civile ou d’imposer leur pouvoir aux communautés et groupes vulnérables.

Il y a seulement quelques décennies, le rôle de la société civile fut contesté avec véhémence par les gouvernements qui ne voyaient pas d’un bon œil l’invasion de l’espace public par des acteurs non gouvernementaux imprévisibles. Aujourd’hui, la reconnaissance de ce rôle n’est plus sujet à interrogation et le secteur public ne peut plus se prémunir de l’exclusivité du service de l’intérêt général. Les expériences passées montrent que les transitions démocratiques ne sont pas réversibles et qu’elles aboutissent toujours au renouveau du contrat social dans un pays donné ; sans oublier que ces processus s’étendent naturellement vers d’autres pays ; ce qui donne à la société civile une opportunité d’or pour s’affirmer dans son rôle d’agent de changement. Pour réussir, il faut toujours se souvenir que la dimension première de cette bataille n’est autre que celle des droits de l’Homme et de la liberté.

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