Published in L’Orient le Jour (French language daily newspaper in Lebanon)
La campagne menée récemment par les médias du Hezbollah contre l’humoriste Gad Elmaleh ravive des craintes qui ne peuvent pas passer sous silence.
L’historien français Hippolyte Taine recommande de n’avoir « d’intolérance que vis-à-vis de l’intolérance ». Et c’est justement sur la base de cet indispensable postulat que l’affaire Elmaleh doit être appréhendée. Parce que Gad Elmaleh, indépendamment de ses vues politiques, est une victime d’une intolérance absurde et détestable; voire destructive pour une entité libanaise composite, ou cohabitent une multitude de groupes ethniques et religieux. L’entité libanaise est l’antithèse même de l’intolérance. Elle doit rester tolérante ou cesser d’exister.
Elmaleh a été accusé par les médias du Hezbollah de plusieurs « crimes de lèse majesté ». D’abord, ce fut l’accusation, sur la base d’une photo qui s’est avérée être tronquée, qu’Elmaleh ait combattu, durant une certaine période, dans les rangs du Tsahal. Il fut également accusé d’avoir soutenu Israël, soit à travers des déclarations politiques ou sous des formes beaucoup plus sophistiquées (membre d’une association de bienfaisance pour les militaires …etc.)
S’il est vrai qu’Elmaleh n’a jamais caché ses sympathies pour Israël, il est tout aussi vrai que la manière dont cette affaire fut traitée est épouvantable. Non seulement à cause de la gravité de tels précédents dans la vie politique et culturelle libanaise mais aussi à cause de l’incapacité de la société civile au Liban d’influer sur le cours des choses au Liban.
Techniquement, Elmaleh est un citoyen français ayant obtenu un visa pour visiter le Liban. Toute atteinte à sa sécurité, ou même une intention de porter atteinte à sa sécurité (par le biais de menaces précédant son arrivée) est passible de poursuites judiciaires. Si Elmaleh n’est pas éligible pour obtenir un visa (à cause par exemple de sa participation à des opérations militaires contre le Liban, le strict minimum serait alors de lancer une enquête pour savoir comment le visa lui a été délivré et par qui ; et comment une personne ayant ce passé « hostile au Liban » (comme le prétend Al-Manar) ait pu obtenir un visa.
Mais l’affaire n’est pas technique. Elle est éminemment politique et culturelle.
Sa dimension politique réside essentiellement dans le précédent grave que constitue cette affaire. Dans les faits, un parti politique a pu empêcher – à travers une campagne de dénigrement et de menaces directes, donc en dehors du cadre légal- la venue au Liban d’un citoyen étranger (ayant obtenu un visa selon le règlement)…. à cause de ses prises de positions politiques en faveur d’un pays dont le gouvernement est hostile au Liban. Selon ces critères, tout visiteur aux Etats-Unis d’Amérique par exemple doit désormais endosser les guerres du Vietnam, de l’Afghanistan et de l’Irak. Selon ces mêmes critères, un citoyen qui soutient politiquement la Lybie ou qui contribue à une association bénévole au service des familles des martyrs de l’armée libyenne par exemple devrait être interdit de venir au Liban à cause de l’implication libyenne dans la disparition de l’Imam Moussa Sadr. L’on pourrait aussi interdire toutes les personnes qui soutiennent la Palestine de venir au Liban, étant donné les exactions commises par les groupes armés palestiniens contre des milliers de libanais durant la période 1975-1990. Tous les hommes d’affaires arabes qui versent d’une façon ou d’une autre des contributions à des associations caritatives étatiques (ou paraétatiques) syriennes doivent aussi être empêchés de venir au Liban, au vu des violations graves perpétrées par l’armée syrienne contre des civils libanais depuis 1976.
Au delà du précédent « politique », l’affaire Elmaleh porte un coup dur à la diversité culturelle en tant que fondement de l’entité libanaise. Un artiste de renommée internationale fut interdit de se produire à cause de ses prises de positions politiques. Indépendamment de la justesse ou non des dites prises de position, Gad Elmaleh se produit en sa qualité d’humoriste et non en tant qu’activiste politique. Et si Elmaleh est transparent en ce qui concerne ses avis politiques, d’autres artistes peuvent aussi avoir des affinités politiques similaires (ou pires), sans les exprimer toutefois. Alors comment juger qui inviter et qui ne pas inviter ? Les meneurs de la campagne anti-Elmaleh suggèrent-ils de scruter les affinités politiques de chaque artiste avant de l’inviter au Liban ? Dans ce cas, on devrait interdire les artistes, films, spectacles, séries télévisées et autres performances artistiques Turques, Françaises, Syriennes, Libyennes, Américaines…etc. à cause d’un contentieux politique avec le Liban à un moment donné de l’histoire. Imaginez ou peut nous mener cette politique…
Cet article se réfère à des comparaisons (au cas Elmaleh) un peu exagérées pour bien démontrer l’impact désastreux, aux niveaux politique, social et culturel de ces pratiques obscurantistes. Il est des précédents dont la portée est plus grave à moyen et long terme qu’à court terme. Ce n’est pas la fin du monde si Gad Elmaleh ne vient pas en juillet 2009 se produire à Beitteddine. Il viendra plus tard. Ce qui est bien plus grave, ce sont les conséquences de ces dérapages et le danger de les consacrer au niveau de la pratique politique.