Déchirures meurtrières en Syrie
Dans la foulée des révoltes arabes en 2011, les jeunes Syriens ont pu initier un mouvement de protestation en vue d’instaurer un régime démocratique en remplacement d’une dictature qui n’a que trop duré. Ce mouvement pacifique s’est transformé en une guerre civile, une des guerres des plus meurtrières de l’histoire moderne. Aujourd’hui, tout le monde, ou presque, peine à qualifier ce conflit hybride : est-ce un conflit syrosyrien ou simplement un conflit régional dont les acteurs sont locaux ?
La définition du conflit importe peu au regard des milliers de victimes et des centaines de milliers de déplacés et réfugiés. Bien plus, les parties en conflit semblent avoir perdu de vue toute perspective de solution. A les voir, on a l’impression qu’ils se battent pour se battre, sans horizon quelconque. Cette situation fait aussi le jeux des grandes nations : les Russes et affiliés considèrent chaque jour qui passe avec Bachar El-Assad à la tête du régime comme un gain alors que l’Occident, lui, considère que les Iraniens et le Hezbollah investissent beaucoup en Syrie. A tel point qu’ils finiront bien par se rendre à la table de négociation, époustouflés.
Les Israéliens, eux, jubilent du fait que le Hezbolllah a envoyé des milliers de combattants en Syrie, ce qui affaiblit sa capacité militaire initialement bâtie pour les combattre. Si leurs tentatives d’impliquer le parti de Dieu dans une guerre civile au Liban n’ont pas abouti, le résultat de son implication en Syrie n’est pas moins importante pour eux. Les Russes et les Américains ne sont pas vexés de voir tant de djihadistes converger en Syrie pour « accomplir leur devoir ». Finalement, ils se retrouvent tous dans un même bocal et deviennent plus faciles à surveiller et, éventuellement, à cerner.
Jurisprudence
A l’ombre de l’incapacité et/ou la non-volonté de la Communauté Internationale de mettre fin à ce conflit, les réalités du terrain montrent aussi qu’une victoire militaire totale, tant pour le régime que pour ses opposants, relève de l’impossible. Au final, tout le monde devra aller à une solution négociée. Mais la question qui se pose actuellement est la suivante : quelle est la solution qui réussira à pacifier une Syrie déchirée en mille morceaux ?
D’une part, la montée de l’Islam politique, en Syrie et dans la région en général, ravive la fracture entre laïcs et islamistes. D’autre part, le conflit, à caractère sectaire, dans une Syrie pluraliste est un défi en soi : quel est l’avenir des relations communautaires entre Alaouites, Sunnites, Chrétiens, Kurdes et Druzes ? Est-ce que les lignes de démarcations ethno-confessionnelles, dessinées par un conflit aussi fort, disparaîtront par un simple accord politique parrainé par la Communauté Internationale ? L’exemple d’une « paix virtuelle » dans un Liban meurtri, à l’issue de quinze ans de guerre civile servira-t-il à dissiper cette illusion simpliste qu’un cessezle- feu puisse instaurer une paix durable ? Quid des centaines de milliers de déplacés et des fractures (pro et anti-régime) au sein d’une même communauté résultant d’une violence sans précédent ?
Apres trente mois de conflit, la Syrie a besoin d’une solution à plusieurs niveaux et volets. Si un accord politique pour mettre fin aux confrontations militaires est inéluctable, il reste que l’instauration d’une paix durable ne saura réussir sans une transition politique basée sur le principe de « vérité et de réconciliation ». Et, surtout, sans un processus politique qui devra s’étendre au niveau social. A défaut, ce ne sera qu’une simple cessation des hostilités, prélude à une confrontation plus grave dans quelque temps. A bon entendeur…
par Elie Abouaoun, NDH-Liban Responsable de Programmes à l’Institut de Paix des États Unis