Published in “Arc en Ciel” (Magazine of the international NGO “Nouveaux droits de l’Homme”; Paris- France)
Nous avons beau clamer l’adhésion du Liban à la Déclaration Universelle des droits de l’Homme et sa signature en 1976 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’attitude des autorités vis à vis du respect de ces chartes demeure laconiquement inchangée: une irresponsabilité pertinente baignant dans un cynisme presque sadique digne des régimes les plus répressifs.
Le dernier coup relevé et médiatisé est celui du “lynchage” de Tabarga. Pour être bien clair, je n’ai nullement l’intention de défendre ces inculpés ou justifier leurs vols ou leurs meurtres.. Mais par quel raisonnement logique peut-on accepter aujourd’hui encore qu’un tel sort soit infligé à des personnes humaines, quand les chartes précitées ont si triomphalement été signées et ratifiées?
Avant d’en venir au commentaire de ce double crime, je me trouve dans l’obligation de m’arrêter devant les détails du déroulement:
- Les deux inculpés prennent connaissance , par l’intermédiaire d’un prisonnier, que la sentence va être exécutée le lendemain, alors que qu’ils ne devaient l’apprendre que par voie officielle, et pas à l’avance
- Une campagne médiatique précède le triste événement pour susciter la curiosité du public et assurer par conséquent la présence de “spectateurs” (munis de calicots), ne rendant à la mort aucun des égards qui lui sont dus.
- Les deux “victimes” sont menées vers la potence les yeux grands ouverts, et au vu de toute l’assistance
- Lorsque l’un deux n’expire pas au moment même, le bourreau s’avance et le tire vers le bas. Même B.B. s’en serait révoltée.
- Les deux “pendus” sont laissés en spectacle jusqu’aux premières heures du jour en guise de “leçon” à tout criminel potentiel..
Toutes les juridictions mises en pratique par les différentes civilisations humaines, tout au long de leur histoire, consacrent le droit à la vie, et plus précisément la Déclaration Universelle des droits de l’homme dans son article 3. Le criminel ou le condamné, étant d’abord un être humain , jouit d’une dignité inhérente à son origine humaine. Quelle que soit la peine qu’il doit exécuter, sa dignité “d’être Humain” doit toujours prévaloir.Par ailleurs, même si le pacte international relatif aux droits civils et politiques n’oblige pas les Etats signataires à supprimer la peine de mort, il les limite néanmoins aux crimes “les plus graves” en vue d’une abolition complète (article 6 paragraphe 6). Il est bien clair que les directives du pacte ne donnent aucunement le droit à infliger la peine de mort, mais considèrent bien que cette phase n’est que transitoire.Le deuxième argument relevé d’habitude par les défenseurs de la peine de mort, est bien entendu l’effet dissuasif ou plus simplement l’exemple donné aux autres. En prenant comme point de départ le concept général de toute peine , il est réfléchi dans un esprit réformateur, correctionnel et non dans l’esprit répressif de la vengeance. Dans ce cadre, j’aimerai me référer à une étude effectuée aux Etats-Unis depuis quelques années et qui montre, que dans un même pays, au sein d’une même société partageant la même échelle de valeurs, le taux de criminalité dans un Etat qui n’a pas aboli la peine de mort est légèrement plus haut que dans un autre ou sévit encore la peine capitale. L’effet dissuasif avancé par certains est désormais fortement ébranlé.
Nombreux sont les exemples qui montrent que la répression n’a jamais été l’instrument de la dissuasion., au contraire ne sont-ils qu’une preuve supplémentaire d’un pouvoir coercitif qu’aucune législation démocratique ne peut légitimer. Dans l’affaire évoquée plus haut et dans beaucoup d’autres aussi, l’exemple social aurait bien été donné par l’attitude positive correctionnelle des autorités que par l’action répressive à laquelle elles se sont laissées aller.Dans cette application de la peine capitale, si loin de notre humanité, l’Etat intériorise dans l’inconscient collectif une valeur selon laquelle tuer est accepté pour certains motifs “valables”. Le mot “valable” peut par conséquent revêtir différentes interprétations dans le lexique particulier d’un citoyen ordinaire: alors, nourrir ses enfants devient un motif “valable” pour tuer et ainsi de suite. Pour parler des conséquences fâcheuses que peut avoir sur la société une exécution publique il suffit de se rappeler les deux incidents survenus dans la Békaa, au village même dont sont originaires les deux condamnés.
Pour clore enfin cette page peu édifiante pour notre société, il nous reste à demander aux autorités libanaises de signer dès à présent, le deuxième protocole optionnel ( du pacte international relatif aux droits civils et politiques) et de supprimer dans ce même élan la peine de mort.En attendant, la suspension des exécutions est fortement recommandée. Il est désormais urgent d’avoir pitié de l’opinion publique. Les spectacles choquants du conflit armé hantent toujours les libanais qui n’ont nullement besoin de ces coups de théâtre, même si un quelconque haut responsable veut prouver qu’il a encore quelques partisans, quelque part au Liban.