https://www.lorientlejour.com/article/717062/Lutter_contre_les_recidivistes.html
Nous commémorons cette semaine le triste anniversaire de la répression sauvage d’août 2001. Dix ans après, il est désolant de réaliser que les choses n’ont pas vraiment changé en termes de libertés publiques. Le séisme politique de 2005 devait mener à une criminalisation des pratiques répressives de l’ère de la tutelle syrienne. Certes, quelques progrès timides furent enregistrés entre 2005 et 2010, mais qui restent insignifiants si l’on tient compte de l’ampleur du problème et des promesses affichées par la majorité des forces politiques, tant avant 2005 (quand certaines de ces forces étaient en dehors du pouvoir et elles-mêmes réprimées) que durant les « saisons » électorales en 2005 et 2009.
Depuis quelques semaines, il y a eu une intensification des mêmes pratiques, tant directement par les organes de sécurité, qu’indirectement par le bais de quelques ministres zélés. Ainsi, il y a eu successivement, et en l’espace de quelques semaines, des atteintes à la liberté d’expression (déclarations intimidantes du ministre de l’Information et des ministres Fattouche et Kanso, répression de manifestants pacifiques à Hamra, films interdits…), des attaques contre les journalistes (Lassa, banlieue sud…), des convocations d’activistes de droits de l’homme assorties de menaces.
Et j’en passe. Pour un gouvernement qui ne cesse de louer ses vertus centristes, réformatrices, conciliantes, respectueuses des engagements internationaux, c’est plus qu’un faux pas : c’est d’une consécration de certaines pratiques qu’il s’agit. Quelques nostalgiques au sein des appareils militaire et judiciaire profitent de la présence à la tête du pouvoir d’un conglomérat de militaires, de paramilitaires et d’hommes d’affaires, peu intéressés par les droits de l’homme, pour récupérer la marge de manœuvre perdue après 2005. Il est impératif de les empêcher de le faire.
Dans ce contexte, rien n’est plus surprenant que le silence complice (par action ou par omission) de certaines forces politiques. Le Courant patriotique libre est le premier concerné par cette régression de la pratique démocratique. Et cela pour deux raisons : d’abord parce que ses piliers ont mené une bataille acharnée entre 1990 et 2005 pour empêcher ce mode de gouvernement de prévaloir ; ensuite parce qu’ils constituent aujourd’hui une composante essentielle du gouvernement et du Parlement. Il est consternant de les voir maintenant considérer que cette bataille est « superflue », que la torture est admise pour les « espions » (dixit Ziad Assouad, représentant de la nation, dont le crâne fut brisé en août 2001 par les services de renseignements) ou que les droits de l’homme ne sont qu’un « label commercial ». Les militants du CPL se sont-ils sacrifiés quinze ans durant pour un simple « label commercial » ou pour se retrouver en train d’être sermonnés sur le concept absurde de la « liberté responsable » alors que le CPL détient dix portefeuilles ministériels et compte un bloc de vingt-sept députés ?
Cette responsabilité du CPL est sans aucun doute partagée par les forces du 14 Mars pour toute la période 2005-2010. Même si leur contrôle du gouvernement n’était pas absolu durant les cinq ans, certains d’entre eux étaient à la tête de ministères-clés (Intérieur, Justice, Information, Défense…). Peut-être qu’ils sont plus subtils en matière de communication, mais leur performance « réelle » est aussi médiocre que celle des autres.
Il y a urgence. La société civile a déjà pris des initiatives. Il faut qu’un bloc de députés, de ministres, d’anciens ministres, de figures académiques, religieuses, etc. se mobilisent non pas pour critiquer ou défendre un gouvernement ou un parti, mais pour accompagner la société civile dans ses démarches visant à contrer la tendance répressive. Pour une fois, il ne faut pas que les récidivistes l’emportent. Parce que dans ce cas, il n’y aura de place pour aucun des projets politiques qui se disputent l’espace public : il n’y aura que des autoritaires, une race qui est en train de disparaître de la région, mais qui « renaît » au Liban.