Publié par Arc en Ciel (magazine de l’ONGI ‘Nouveaux droits de l’Homme” AVRIL 2013
Directeur Exécutif du Fonds Arabe pour les Droits Humains
Membre du Comité Directeur de NDH
Par le Dr. Elie Abouaoun
Le Liban vient de franchir un nouveau pas sur le long chemin d’un meilleur respect des droits. En effet, Nidal Darwich et Khouloud Sukkariyeh, encouragés et encadrés par des activistes de la société civile ont décidé d’utiliser une brèche légale pour contracter un mariage « hybride ».
Nidal et Khouloud, tous les deux musulmans mais de rites différents, ont commencé par se marier religieusement (devant un Cheikh). Cependant, au lieu d’enregistrer le certificat du « mariage religieux » auprès de l’administration libanaise, ils ont opté pour une autre démarche néanmoins historique : Se basant sur l’arrêté n° 60/ LR de 1936, qui date de l’époque du mandat français et qui est encore en vigueur (l’article 10 dispose que les Libanais qui n’appartiennent à aucune communauté sont régis en matière de statut personnel par la loi civile), ils ont demandé à rayer la mention de leur appartenance communautaire de leurs fiches d’état civil. Donc au final, ils se sont mariés « religieusement », puis en tant qu’époux « légitimes » (devant la loi religieuse), ils se sont fait rayer des registres communautaires et par conséquent ont invoqué leur droit de se marier « officiellement » devant un notaire.
Le parcours juridique de ce fameux « contrat » civil n’est pas moins intéressant. Déposés par les deux nouveaux mariés auprès du ministère de l’Intérieur pour être dument enregistré, ce dernier a décidé de consulter le département d’avis juridiques auprès du ministère de la Justice. Tout cela s’est accompagné d’une campagne sans précédent de plusieurs institutions religieuses, certaines jetant même l’anathème sur les mariés civils, leurs enfants ainsi que tout responsable administratif, politique ou juridique qui faciliterait, d’une façon ou d’une autre, la légalisation du mariage civil. A deux reprises, le département a validé la légalité de la procédure suivie par les deux mariés, ce qui a amené le ministre de l’Intérieur à signer l’inscription de ce contrat de type nouveau dans les registres civils.
L’importance de la démarche initiée par les deux époux Sukkariyeh et Darwich présente plusieurs points d’intérêt :
1- C’est la première fois que les sympathisants du mariage civil (et activistes de la société civile) sortent du cadre « réactionnaire » pour se positionner en tant que « porteurs d’initiatives » visant des résultats bien concrets. Jusqu’à l’année passée, l’on ne voyait que des manifestations, sit-in et autres protestations symboliques sans impact. C’est la première démarche qui se base sur une recherche juridique, identifie les lacunes de la loi et agit en conséquence pour créer un précèdent juridique et le consacrer en tant que fait accompli. Vue de ce cet angle, c’est la méthode utilisée qui est historique. Elle ouvre la voie à tant d’autres démarches similaires dans le sens d’un plus grand respect des droits de l’Homme.
2- Tout aussi intéressant est la résistance des juges, employés de la fonction publique et autres acteurs face aux menaces virulentes émises clairement par des membres du clergé musulman et chrétien. Le « dossier » est passé du notaire, aux services du ministère de l’Intérieur, au ministère de la Justice sans être affecté par le veto du clergé. Dans un pays comme le Liban, ce n’est pas une mince affaire et là aussi, ce précèdent serait probablement utilisé dans d’autres campagnes similaires.
3- Sur le fond, la démarche ne s’est associée à aucun discours politique. Elle n’était que juridique et civile ce qui lui a assuré quand même un support populaire assez large. Au cas où les initiateurs de cette campagne auraient utilisé un langage « provocateur » qui prônerait une laïcité à l’Occidentale ou qui aiguiserait les animosités contre l’establishment religieux, l’on aurait vu un repli identitaire d’une large frange de la population. Tout le génie de cette démarche réside dans le fait qu’elle a commencé par un mariage religieux qui a ôté tout prétexte aux « défenseurs acharnés » des religions, qui dans le cas contraire, auraient pu mobiliser l’opinion publique contre les deux époux. C’est donc une démarche civile qui a refusé de se positionner en porte à faux par rapport à la religion. Au contraire, elle a évité de « diaboliser » la religion en acceptant le mariage religieux tant qu’il est confine à la sphère privée seulement. C’est un message très fort que pour parvenir à un meilleur respect des droits de l’Homme, il ne s’agit pas de déclarer la guerre aux religions. Repositionner la religion de la sphère mixte publique/privée a la sphère exclusivement privée ne peut se faire à travers une confrontation. Elle a plus de chances de se faire d’une façon rationelle et graduelle.
Pour terminer, il faut bien se féliciter de ce développement positif tant sur le fond que sur la forme et espérer que les acteurs de la société civile au Liban et dans la région arabe sauront tirer les leçons de cette merveilleuse aventure de Khouloud et Nidal. A la prochaine!