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Une victoire par ruse

https://www.lorientlejour.com/article/593403/Une_victoire_par_ruse.html

Published in l’Orient le Jour (French language daily newspaper in Lebanon)

Presque tout le monde jubile ! L’accord de Doha est salué par l’écrasante majorité des personnalités politiques libanaises, arabes et étrangères. L’opinion publique est prise par un courant d’optimisme convoyé par tous les médias. Encore une fois, l’on porte atteinte à l’esprit critique du citoyen libanais. L’on cherche, par la ruse, à l’aveugler par les bienfaits d’un accord aux dimensions chimériques, un accord qui ne mérite même pas ce qualificatif. Ce n’est qu’un cessez le feu, important certes pour arrêter une guerre en bonne et due forme, mais qui n’est en aucun cas un règlement politique durable.

« Vainquons par valeur ou par ruse ; le succès sera notre excuse », dit le proverbe. Comment l’accord de Doha est-il une victoire par ruse et pas par valeur ?
  • C’est un accord qui porte atteinte à la souveraineté nationale puisqu’il ne fut pas possible sans les multiples interventions et bazars régionaux, voire internationaux. Aucune des deux parties du conflit n’était en mesure de prendre ses décisions d’une façon autonome. C’est un accord qui a été « cuisiné » par une délégation ministérielle représentant une dizaine de pays arabes. Toutes les demandes présentées par les représentants politiques libanais étaient qualifiées d’existentielles et de ligne rouge. Tous se plaignaient de la non-coopération des autres, certains pliaient bagages et voulaient rentrer. Soudain, la « dernière nuit » leur a porté conseil et un accord global, ignorant la plupart des « demandes existentielles », fut « imposé » aux uns et aux autres, comme par enchantement. Imposé par qui, pourquoi ? Personne ne le sait à ce stade. Mais la dynamique des cinq jours à Doha n’allait pas vers un règlement mais plutôt vers un échec. Les quatorze doivent nous expliquer pourquoi ils ont accepté d’oublier leurs « causes pour lesquelles ils luttaient à mort ». A tous les anciens chantres de la souveraineté, faut-il leur rappeler leur propre thèse que la souveraineté est comme la virginité et qu’il n’y a pas de demi-souveraineté ?
  • L’accord s’est fait au détriment de la vérité. C’est un règlement politique qui suit un round d’opérations militaires ayant causé la mort d’une centaine de personnes, des blessés et des dégâts matériels. Des opérations qui se sont accompagnées de violations graves du droit international. Comme par miracle, les baisers de Judas, les embrassades entres Seigneurs de guerre, les sourires moqueurs ont fini par faire oublier à ces gens leurs responsabilités. Cependant, on doit la vérité, tant aux morts qu’aux vivants. C’est la deuxième fois en 20 ans que la classe politique libanaise s’engage dans un règlement politique aux dépens de la vérité. Une première fois à Taef (et la triste loi d’amnistie de 1991) et une deuxième fois à Doha. On ne peut pas parler de règlement politique sans un processus «de vérité et de réconciliation ». Il est indispensable que le nouveau pouvoir issu de Doha s’engage, pourquoi pas dès la déclaration ministérielle, à lancer ce processus.
  • Ce nouveau règlement politique s’est fait aussi aux frais du processus constitutionnel et démocratique. Il amène un militaire à la tête de l’Etat moyennant une élection qui n’est pas conforme à la Constitution. Même si tout le monde s’emploie à justifier cette exception, toujours est-il que l’arrivée du Président Sleimane au pouvoir demeurera controversée. Mais là n’est pas le cœur du problème. Toute la classe politique au Liban n’est pas parvenue à assurer une transition pacifique et en temps dû du pouvoir civil. Ils se sont vus obligés d’entériner la candidature du commandant en chef de l’Armée. Indépendamment de ses compétences politiques (qui sont encore à prouver), c’est le signe inéluctable de l’échec de toute la classe politique libanaise qui n’est devenue qu’un « amortisseur de choc », une sorte de « machines à réactions », au lieu d’être en charge des rênes du pays et de la société. Parce que pour prétendre gouverner, il faut avoir la capacité d’entreprendre, d’initier, de proposer, de planifier, d’exécuter, de rendre des comptes…etc.. Des attributs perdus de vue depuis longtemps déjà de la vie politique libanaise. D’autre part, la société civile libanaise doit s’inquiéter du fait que les militaires sont toujours présentés comme les « sauveurs ». N’y a –t-il pas des personnalités civiles qui ont les capacités du General Sleimane ? Est-il vrai qu’il dispose de qualités introuvables chez les « gens du métier » ? Comment pourrait-on prétendre être un « oasis de démocratie » alors que l’on ne trouve que des militaires pour devenir présidents ?
  • D’aucuns se sont offusqués de certaines analyses qui affirmaient que le règlement de Doha ne va pas mener a une véritable dynamique communautaire de réconciliation et de la construction d’une paix durable. C’est vrai pour la simple raison que les protagonistes ont été incapables de discuter ne serait-ce qu’un seul des problèmes de fond qui accablent le Liban. Ils se sont démenés cinq jours durant pour un vulgaire partage du gâteau. Pour que ce cessez le feu dure et se transforme en vraie paix civile, il faut engager un processus de dialogue, pas seulement entre les quatorze « happy few », mais aussi entre les structures communautaires et sociétales libanaises sur les problèmes de fond.

L’expérience de Doha dévoile le besoin pressant d’un changement radical de la classe politique et des valeurs qui sous tendent la vie politique au Liban. L’occasion de 2009 commence à se pointer et il serait dommage, voire criminel, que la société civile libanaise et les citoyens en général ratent cette occasion. Certes ce changement peut être graduel. Mais il faut que 2009 constitue un tournant dans la vie politique, une sorte de leçon pour tous ceux qui aspirent à la députation et aux autres postes de la vie publique. Sinon, l’on devrait admettre que cette citation d’un certain Winston Churchill est hyper-pertinente : « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre

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