Dans la tourmente qui secoue le pays depuis quelques semaines et à l’occasion de la commémoration du 13 avril 1975, il serait judicieux de lancer une réflexion sur les fondements de ce que plusieurs appellent désormais la IIIe République. La naissance de cette nouvelle République se fait déjà dans la douleur : celle des assassinats et des attentats à la bombe. L’envergure de Rafic Hariri et la gravité de sa disparition ont mobilisé la communauté internationale qui a su imposer (heureusement d’ailleurs) une commission d’enquête internationale dont les prérogatives sont presque sans limites. Toutefois, le cynisme soutenu des grands décideurs (car on n’en est plus au seul décideur syro-baassiste) fait que la douleur des milliers de familles des victimes tombées sous les crimes les plus atroces passe pour inaperçue, ou accessoire, pour les démocraties occidentales. Des centaines d’officiers, de miliciens (haut gradés) ou de politiciens, libanais, israéliens, syriens, iraniens, palestiniens. etc., vont pouvoir continuer leurs vies comme si de rien n’était. Parce que, aux yeux de la communauté internationale, tous les crimes commis depuis le 13 avril 1975 ne sont pas suffisants pour que des enquêtes sérieuses et impartiales soient mises en place. D’aucuns diraient que la réconciliation ne peut se faire dans un esprit de vengeance. La réalité montrerait que toute réconciliation « bâclée » pourra facilement se « défaire » en l’absence de la vérité. D’autant plus que la quête de la vérité ne se fait pas dans un esprit de vengeance, mais dans un esprit de justice. La différence entre les deux concepts est colossale. L’illustre exemple de l’Afrique du Sud doit inspirer aux tenants de la IIIe République en gestation, ainsi qu’aux dépositaires et garants du droit international, une ligne de conduite complètement opposée à celle qui est adoptée actuellement. Pour réussir une vraie réconciliation nationale, il faut absolument boire la douloureuse coupe de la vérité. Le but n’étant pas nécessairement de punir, mais au moins de savoir, pour pouvoir pardonner. Le droit de savoir devra sans aucun doute devancer le devoir de pardonner, auquel les familles des victimes sont appelées à s’y conformer. Un pardon anonyme, collectif, inconscient, imposé, sans conviction ne sera rien d’autre qu’un pavé dans la mare dont les effets se dissiperont à la première brise. Pratiquement, c’est en créant une « commission de vérité et de justice » que l’impunité que se sont auto-octroyés les auteurs de ces crimes pourra être contournée. L’initiative de créer cette commission ne viendra jamais des politiciens eux-mêmes (ni loyalistes ni opposants) pour la simple raison que la plupart d’entre eux sont impliqués directement ou indirectement dans des crimes contre l’humanité. Ce genre d’initiative ne viendrait qu’à travers une mobilisation de la société civile libanaise soutenue ouvertement par les organismes onusiens. En attendant, nous nous consolerons du fait que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. À bientôt donc, pour la justice, la vérité et la réconciliation. Élie ABOUAOUN Chargé de cours à l’USJ