Published in L’Orient le Jour (French language daily newspaper in Lebanon)
Peut-on voter objectivement dans le climat ambiant de polarisation extrême ? Evidemment que non. Même les plus immunisés contre le suivisme aveugle ont du mal à faire un choix éclairé. Parce que justement, les Libanais sont appelés par leurs leaders à faire un choix aveugle.
Politiciens, cadres partisans, journalistes, figures religieuses…tous (ou presque) orientent les électeurs vers l’un ou l’autre choix. Déjà que le libanais soit acculé à choisir seulement entre deux choix est un signe majeur de la faiblesse du système démocratique dans une société pluraliste comme celle du Liban. Mais passons outre ce facteur pour survoler une autre calamité : celle de se voir torturer sa conscience par le parti X si on vote Y ou vice versa, sous le label sous-développé de « choix existentiel ». Même au plus fort de la tutelle syrienne du Liban, l’on n’a pas vu cette maltraitance abusive des consciences citoyennes et de leur sens critique.
Je ne me considère pas habilité à traiter dans ces colonnes de l’opportunité de tel ou tel choix et de leurs conséquences sur l’avenir du Liban d’autant plus que je suis contre le forcing intellectuel auquel se livre une multitude de personnes. Mais ce qui me parait extrêmement grave dans ce contexte est l’attaque frontale menée au sein des courants politiques contre le sens critique de leurs partisans et sympathisants. Même si quelqu’un est convaincu de la primauté du choix politique de son courant, il n’a la possibilité ni de remettre en question la méthodologie utilisée par ses chefs pour atteindre les objectifs annoncés, ni même de se poser des questions sur la capacité des personnes choisies (toujours par ces mêmes chefs) pour mener à bien un projet politique (si jamais un projet en bonne et due forme existe).
Le citoyen se trouve donc face à des équations aberrantes : Si tu choisis X (ou Y, c’est selon) tu es accusé de traitrise. Pire encore, si tu ne votes pas pour la liste complète (peu importe si elle comporte un ou plusieurs menteur/voleur/opportuniste/incapable/corrupteur/corrompu…) tu es accusé de traitrise aussi. « Parce que tu votes pour un choix pas pour des personnes » nous sortent-ils. Comment un pays peut-il être construit sans bâtisseurs ? Même dans le cas ou on fait le bon choix (politique), si les personnes élues pour transformer ce choix en politiques, lois, projets, pratiques… n’ont pas le profil adéquat, quel sera le résultat ? A quoi bon choisir le projet politique tout en élisant des députés qui n’ont pas les aptitudes requises ? S’il est urgemment question de faire un choix, il aurait fallu organiser un referendum plutôt que des élections législatives.
Il n’y a point de bon choix politique « utile » sans un parlement composé de personnes compétentes, transparentes et responsables. Et il n’y aura jamais de tels parlementaires sans un vote basé sur des valeurs. Si la classe politique libanaise a été incapable de se mettre d’accord sur une nouvelle échelle de valeurs depuis 2005, c’est aux citoyens de leur inculquer, un certain 7 juin 2009, l’importance de ces valeurs dans la pratique politique au Liban. Et l’une de ces premières valeurs est sans aucun doute celle de la préservation (et du développement) du sens critique de chacun et chacune des Libanais. Ce sens critique est d’une importance inestimable pour la pérennité d’un Liban libre et pluraliste. Si vous voulez un tel Liban, votez pour X ou Y comme vous voulez, mais votez objectivement, sur la base de vos valeurs. C’est seulement comme ca que le Liban survivra à la crise existentielle. Pour la simple raison que les choix politiques sont temporaires et réversibles (comme on l’a bien vu depuis 2005) alors que les valeurs sont constantes et pérennes. Et que le meilleur gagne !